LES FONTAINES DE BRUXELLES (6) : PUCELLES ET SATYRES…
La fontaine des Trois Pucelles.
Pas facile de retrouver la trace de ces pucelles ! D’abord parce que l’emplacement de la fontaine d’origine pose problème. Ensuite parce que nos donzelles ne seraient tout simplement pas celles que l’on croit !
Premièrement, l’emplacement. Certains croient trouver la trace de cette fontaine à l’endroit où se dresse aujourd’hui l’une des « fontaines breugheliennes », à savoir celle qui représente la « Parabole des aveugles », rue au Beurre, près de l’entrée de l’église Saint-Nicolas.
Et de montrer un dessin qui, effectivement, représente une fontaine dont les niches sont occupées par des femmes des seins desquelles jaillit de l’eau. Des personnages l’entourent et semblent faire une farandole. La légende dit « Profanation des vêtements sacrés de l’Eglise de St-Nicolas par les Hérétiques à Bruxelles en 1579 ».
Notre fontaine serait donc au cœur d’un raid iconoclaste durant les guerres de religion.
(http://bruxelles mysteHYPERLINK"http://bruxellesmystere.skynetblogs.be/tag/fontaine+des+trois+pucelles"re.skynetblogs.be/tag/fontaine+des+trois+pucelles ).
Le lien entre cette scène et l’église Saint-Nicolas ne peut évidemment être mis en doute. Par contre, la localisation de la fontaine pose problème. De toute évidence, elle ne se trouvait pas à l’emplacement de notre actuelle « fontaine breughelienne », mais au carrefour des rues du Marché-aux-Herbes, du Marché-aux-Poulets, de la rue des Fripiers et de la rue au Beurre, également située près de l’église Saint-Nicolas donc, mais à l’arrière.
Mais, me direz-vous, la rue au Beurre ne débouche pas sur ce carrefour ! Disons, plus précisément, qu’elle n’y débouche « plus ». Tout simplement, un tronçon de la rue au Beurre qui, à l’origine, était une artère « en coude », a été rebaptisé, après la première guerre mondiale…rue de Tabora, en souvenir de la victoire belge emportée contre les Allemands dans la future Tanzanie.
Pour la localisation de la fontaine « des trois pucelles », se reporter à : http://www.reflexcity.net/bruxelles/fontaines/fontaine-des-trois-pucelles-disparue
Mais un deuxième problème se pose, car deux représentations de la « fontaine des Trois Pucelles » existent…mais seulement l’une d’elles est forcément la bonne. Il y a la fontaine, déjà évoquée et replacée dans le cadre des événements de 1579, et puis il y a une photo de trois femmes entourant une colonne, dont l’original est conservé au Musée de la Ville de Bruxelles.
Cette fontaine, nous dit-on, était constituée de trois niches ( ?) abritant chacune une statue de femme nue. L’eau de la fontaine jaillissait de leurs seins. Cette fontaine fut élevée en 1545, sous le règne de Charles-Quint, elle apparaît sur une gravure de 1579 (celle déjà citée) et fit l’objet d’une réparation en 1776.
On dit aussi qu’en 1826, elle sera remplacée par une fontaine-obélisque, puis une borne-fontaine, ce qui semble renvoyer à l’emplacement de l’actuelle « fontaine breughelienne » de la rue au Beurre. Nous pouvons voir cependant que plusieurs cartes (cartes « reflexcity », voir site précité), de diverses époques, situent bien la « fontaine des Trois Pucelles » au carrefour des rues précitées et non à l’emplacement de l’actuelle borne-fontaine « breughelienne » de la rue au Beurre. Il existe même une explication historique à cette situation particulière : la présence de « steenen » où maisons en pierre patriciennes. Peut-être existait-il deux fontaines à l’origine, la grande fontaine des Trois Pucelles à l’endroit précité et une borne-fontaine plus modeste devant l’église Saint-Nicolas. Pour notre part, nous nous en tiendrons, carte à l’appui, à la localisation de la fontaine des Trois Pucelles à l’arrière de l’église Saint-Nicolas.
Ceci n’explique toutefois pas pourquoi deux représentations présumées de cette fontaine sont parvenues jusqu’à nous : la « fontaine-colonne » et ses trois femmes ou, plus précisément, jeunes femmes, et la fontaine-niches, en forme de cube.
Il ne peut y avoir là qu’une confusion. La fontaine-colonne ne comporte aucune niche, il ne peut donc s’agir de celle-là. La fontaine-niches est de forme vaguement cubique, elle compte donc quatre faces. S’il n’y avait que trois « pucelles », quel objet pouvait bien occuper la quatrième niche de la fontaine de 1579 ?
Il ne peut y avoir là qu’une confusion. La fontaine-colonne ne comporte aucune niche, il ne peut donc s’agir de celle-là. La fontaine-niches est de forme vaguement cubique, elle compte donc quatre faces. S’il n’y avait que trois « pucelles », quel objet pouvait bien occuper la quatrième niche de la fontaine de 1579 ?
Il est évidemment tentant d’établir une relation entre le nom de « Trois Pucelles » (ou « Trois Grâces », « Trois Déesses ») et la fontaine-colonne ne comportant aucune niche mais bien trois jeunes filles nues qui se tiennent par la main ou la taille, il est toutefois peu probable que cette fontaine ait un jour remplacé la très ancienne fontaine des Trois Pucelles dont d’anciens documents font mention dès 1382. Cette fontaine ne semble pas avoir été destinée à une place publique et a probablement été exécutée pour orner la propriété d’une riche famille bruxelloise, à moins que celle-ci, propriétaire d’un « steen », par exemple, n’ait décidé d’en faire don, pour l’installer là où les actuelles rues de Tabora et des Fripiers se rejoignent… Pures spéculations.
Que pouvons-nous tenter de déduire de cet ensemble d’informations passablement contradictoires ?
Une fontaine s’élevait bel et bien au point d’intersection des rues du Marché-aux-Herbes (ex-Marché-aux-Tripes), des Fripiers, du Marché-aux-Poulets et de Tabora (ex-Grande rue au Beurre). Depuis 1382, au moins, elle était connue sous le nom de « fontaine des Trois Pucelles ». En 1579, située à proximité de l’église Saint-Nicolas, elle est représentée sur un dessin ayant trait aux guerres de religion. Elle a alors l’aspect d’un monument cubique (parallélépipède ), abritant plusieurs niches dont plusieurs (2, 3 ou 4 ?) abritent des statues de femmes nues dont l’eau jaillit des seins. Deux de ses statues sont représentées sur le dessin. On peut supposer qu’elles étaient trois au vu du nom des « Trois Pucelles ». Mais rien n’indique ce qui pouvait apparaître alors sur la quatrième face du monument : un autre niche, une quatrième pucelle ou autre chose, nous n’en savons rien. Mais qu’est-il alors advenu de cette fontaine ? Il nous semble étrange qu’au vu de sa situation géographique, cette fontaine aurait pu miraculeusement échapper au terrible…bombardement de 1695. Pour peu qu’elle ait survécu jusqu’à cette date, elle a probablement été anéantie par les boulets de l’artillerie du Roi-Soleil.
A la même époque existait une autre fontaine représentant trois jeunes filles entourant une colonne. Ce monument, conservé au Musée de la Ville de Bruxelles, a été réalisé en 1545, sous le règne de Charles-Quint. Elle a pour elle de correspondre à la dénomination de la fontaine des Trois Pucelles mais elle ne peut vraisemblablement être identifiée à la fontaine du 14e siècle. Aussi, pour la distinguer de celle-ci, préfèrerons-nous lui donner le nom de « fontaine des Trois Grâces ». Celle-ci ne semble pas avoir été destinée à un usage public, mais bien à un usage privé (www.museedeleauetdelafontaine.be ). De plus, aucun lien n’est établi entre cette statue et l’église Saint-Nicolas dont la « fontaine des Trois Pucelles » était géographiquement proche. Le symbole de la lactation (l’eau jaillissant des seins), comme l’enfant urinant (Menneken Pis), le « cracheur » ou la plaie saignante, sont des thèmes fréquemment utilisés pour les fontaines, il n’est donc pas étonnant de voir le thème de la lactation représenté par deux fontaines au moins.
Ajoutons que, selon une légende rapportée par un certain Léon Van Neck, un noble et son épouse donnèrent naissance à trois belles jeunes filles, mais toutes les trois décidèrent de ne pas se marier, d’où leur nom de trois pucelles. Deux seigneurs succombèrent malgré tout à leur charme et s’opposèrent dans une guerre sanglante. L’un d’eux parvint à s’emparer des trois jeunes filles et à les faire prisonnières. Sans doute exerça-t-il sur elles quelque chantage auquel elles ne voulurent point céder, parce qu’on les retrouva toutes les trois assassinées. Parmi les soupirants figurait aussi un certain Charles, duc de Brabant, qui n’était autre que…l’Empereur Charles-Quint ! C’est lui qui, en 1545, fit élever une fontaine à trois bassins, alimentés par trois belles jeunes filles dont l’eau jaillit des seins. La fontaine originale, située près de l’église Saint-Nicolas, a disparu.
Mais au fait, le « Charles, duc de Brabant » de cette légende, était-il bien Charles-Quint ? Ne s’agirait-il pas plutôt de Charles de France, qui passe pour être le fondateur de Bruxelles ? « Charles aurait fait la cour aux trois filles de Hughes, dites les trois pucelles et qui ont peut-être donné leur nom à la fontaine dite des trois pucelles, qui s’élevait au coin du marché-aux-tripes et de la rue au beurre. C’était un groupe de pierre de trois filles nues jetant des filets d’eau par les seins. Cette fontaine existait avant 1581. On raconte que ces trois pucelles furent inhumées au marché au bois. Remarquons toutefois que dans le culte Odinique on rencontre toujours les trois Nornes près d’une source (Ymirsbrün), au pied de l’arbre de plaid (Yggdrasill). Les filles de Hugues auraient été enlevée par un sire Ermenfride, qui aurait enfermé Charles dans une tour avec les trois sœurs ( !). Charles se serait évadé et serait venu assiéger la tour où il avait été prisonnier. Il y découvrit les cadavres des trois filles assassinées, avec Ermenfride lequel se serait suicidé ( ?). » (L’Île St.-Géry à Bruxelles, p.19-20). Mais qui pouvait bien être le Hughes repris dans cette légende ? Nul ne le sait vraiment.
Par contre, la légende, telle qu’elle nous est rapportée ici par Louis Stroobant, confirme bien la présence d’une fontaine des Trois Pucelles à l’endroit que nous avions indiqué. Comme nous l’avons déjà dit, le tronçon de l’ancienne rue au Beurre qui s’étendait jusqu’à la fontaine est devenu la rue de Tabora. Quant au « marché aux tripes », dont il est question ici, il se situait jadis, et ce jusqu’à la Révolution française, rue du Marché-aux-Herbes :
Dès 1391, « les tripiers avaient obtenu, non loin de l’église Saint-Nicolas, des emplacements pour quatre échoppes. En 1522, ils étaient devenus envahissants et les habitants de la Chaussée se plaignaient des odeurs fortes que répandaient leurs « pensen » : on limita alors leur espace au moyen de bornes de pierre. Mais en 1796, les autorités françaises jugèrent ces odeurs « offusquantes » et, par arrêté du 27 germinal an IV, les tripiers furent contraints de se retirer dans une rue plus populaire : la Petite rue des Bouchers, où ils étaient encore concentrés au milieu du siècle dernier [ndr : milieu du 19e siècle]. Mais ce tronçon de la vieille Steenweg, entre la rue des Fripiers et la rue des Harengs, garda le nom populaire de Pensmerct (Marché aux Tripes). Dès le XVIIème siècle, les marchands de légumes, qui devaient disputer leurs emplacements de la Grand-Place à différents autres maraîchers, purent aussi s’installer à l’ancien marché aux poissons, au bout de la rue de la Colline. Le peuple appela cet endroit Groentemerkt (Marché aux Légumes) ou Gerstenmerkt, car les marchands d’orge s’y concentraient. En français du XVIIIe siècle, cela fut traduit par Marché aux Herbes. C’est donc par une décision communale de 1853 que la rue du Marché aux Tripes et celle du Marché aux Herbes fusionnèrent. » (Jean d’Osta).
Pour ce qui est du lieu de l’assassinat présumé des trois jeunes filles, certains penchent pour le château d’Axele-les-Moorsel. Vers 978 ou 1047, selon les sources, un certain Ermenfried (ou Ermenfroid, Hermanfried) « aurait, de gré ou de force, restitué les reliques de Gudule au duc Charles. Or celui-ci aurait assiégé, vers 978, le burgt de Texel ou d’Axele-lez-Moorsel d’où il fit transporter le corps de Ste Gudule à la chapelle de S. Géry. Ce serait donc au château d’Axele que se situerait l’épisode légendaire des trois pucelles ( ?). » (Ibid.)
Les Trois Pucelles interviennent également dans la légende du Cracheur, une autre fontaine bruxelloise, puisque le matelot ivre-mort, à l’origine de cette légende, aurait consommé exagérément du vin…qui jaillissait des seins des Trois Pucelles ! Comme quoi, à l’instar du Menneken Pis, elles ne produisaient pas que de l’eau !
La fontaine des Satyres.
La rue de la Montagne, telle que nous la connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire longue de 200 m et s’étendant du carrefour Marché-aux-Herbes/Madeleine jusqu’à l’articulation de la rue d’Arenberg avec le boulevard de l’Impératrice, était jadis bien plus longue.
Le côté impair de la rue de la rue de la Montagne a été totalement rasé dans les années 1955-1956. Or, c’est là que nous retrouvons la trace de l’ancienne fontaine des Satyres, démolie environ un siècle plus tôt :
« Le n°1 formait un angle aigu avec le début de la rue de la Madeleine. Cette pointe s’avançait jusqu’en face du porche d’entrée des galeries Saint-Hubert, à quelques pas de la célèbre fontaine dite des Satyres, dressée au milieu de ce carrefour beaucoup plus petit qu’aujourd’hui. La maison n°1, très banale, abritait en dernier lieu une librairie-bouquinerie assez importante. » (Jean d’Osta).
Derrière ces destructions, on devine évidemment l’ombre de la monstrueuse Jonction Nord-Midi… Bien d’autres artères du quartier en furent également les victimes !
« Comme la rue de la Madeleine qui le précède, le Marché-aux-Herbes fut victime d’une sévère amputation due –on s’en doute- aux travaux de la Jonction et d’assainissement du quartier. C’est ainsi que fut démoli, sur sa rive paire, le tronçon qui reliait la rue de la Montagne à celle de la Putterie, face à la rue des Eperonniers. Au bas de cette dernière section, s’élevait, dès le XIVe siècle, la fontaine des Satyres disparue en 1847, l’année de l’inauguration des Galeries Saint-Hubert. Elle avait été reconstruite en 1617 par Duquesnoy. Deux ans après sa démolition, les matériaux hors d’usage furent mis en vente publique. Depuis le printemps 1981, une nouvelle fontaine orne le centre de l’esplanade aménagée dans la partie supérieure du Marché-aux-Herbes. » (Georges Renoy) On peut aujourd’hui y voir une statue de l’ancien bourgmestre de Bruxelles, Charles Buls.
On connaît plusieurs représentations de la fontaine des Satyres. Ainsi, une vue de la fontaine telle qu’elle apparaissait vers 1830, lithographie que l’on doit à Jobard. Un dessin datant plus ou moins de la même époque (entre 1800 et 1847) que l’on doit à Van der Hecht. Et encore, un dessin montrant la fontaine entourée par des barricades (événements du 20 septembre 1830) et des hommes affairés, au carrefour du Marché-aux-Herbes et de la rue de la Montagne.
Eric TIMMERMANS.
Sources : « Ilot Sacré », Georges Renoy, Bruxelles vécu – Rossel, 1981, p.28 & 30 / « Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles », Jean d’Osta, Le Livre, 1995, p.190, 213 / L’Île St. Géry à Bruxelles, Louis Stroobant, Le Folklore Brabançon, 12e année, n°69, p. 19-20.