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LE PRIEURE DU ROUGE-CLOÎTRE

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LE PRIEURE DU ROUGE-CLOÎTRE (Auderghem)

 

Vers 1840

1.Un historique du Rouge-Cloître.

 

 

Aux origines du Rouge-Cloître – Le 14e siècle..

Au 14e siècle, l’essor du christianisme occidental suscita un courant mystique qu’encouragèrent, dans nos régions, certaines personnalités tel que Jan van Ruysbroeck (ou Ruusbroec) dit l’Admirable (1293-1381), lui-même disciple de Maître Eckhart (1260-1328). Cette évolution amena nombre de souverains à offrir des terres et des domaines afin qu’y soient érigés des couvents. C’est ainsi que la duchesse Jeanne de Brabant, fille de Jean III et épouse de Wenceslas de Luxembourg, admit la création de plusieurs fondations religieuses en forêt de Soignes, parmi lesquelles, l’ermitage du Rouge-Cloître, fondé par un certain Gilles Olivier, en 1366.

 

En 1367, Guillaume Daneels, chapelain de l’église Sainte-Gudule à Bruxelles, de même que le laïc Walter van der Molen, rejoignirent l’ermite, retiré dans la forêt de Soignes, aux environs de la « Bruxkens Cluse » (ou Ten Bruxken, lieu-dit situé à l’endroit où la chaussée de Wavre enjambait le Roodkloosterbeek). Mais cette terre humide favorisant les douleurs rhumatismales, la duchesse Jeanne préféra voir les religieux s’installer, à la date du 1er mars 1368, sur une terre située un peu plus en hauteur « in onsen wouden von Zonie beneden den Clabotsborre », où un nouvel ermitage fut ainsi fondé.

Le village d’Auderghem, situé au nord de la forêt de Soignes et à l’est de Bruxelles, constitua un pôle d’attraction pour le futur prieuré du Rouge-Cloître. Au cours des années qui suivirent, les ermites édifièrent de petites maisonnettes et une chapelle en bois qui fut enduite d’argile rouge. De là lui vint son nom de Rode Cluse ou Rooklooster, soit « Rouge-Cloître » (*). En latin, on le nomma Rubea Vallis (ou « Rougeval ») par opposition à Viridis Vallis (ou « Valvert », ou encore « Groenendael », du nom d’un autre prieuré de la forêt de Soignes).


Le 18 janvier 1374, l’ermitage devint un prieuré dédié à saint Paul –le prieuré de saint Paul en Soignes- et il adopta la règle de saint Augustin. Guillaume Daneels fut choisi comme premier prieur.

Le Rouge-Cloître au 15e siècle.

En 1402, la communauté s’affilia au chapitre de Groenendael (pour l’anecdote, une tradition légendaire prétend qu’une galerie relierait, au terme de plusieurs kilomètres, le site du Rouge-Cloître à celui de Groenendael) et, en 1412, au chapitre de Windesheim. Les premiers travaux d’aménagement du prieuré furent entrepris entre 1441 et 1454. On construisit un lavoir (1441), une maison des femmes (1445), une infirmerie dotée d’une petite chapelle (1449) et un mur d’enceinte (1452).

Si les religieux du Rouge-Cloître menaient une vie de prière et de contemplation, ils ne négligeaient pas pour autant les études historiques et hagiographiques. Ainsi rédigèrent-ils nombre de chroniques et copièrent-ils des œuvres religieuses. De nombreux manuscrits copiés et enluminés au Rouge-Cloître sont d’ailleurs conservés à la Bibliothèque Nationale d’Autriche, à Vienne. La communauté exploita aussi des carrières, aménagea des viviers pour la pisciculture, draina le vallon et construisit un moulin.

L’écrivain le plus célèbre du Rouge-Cloître est le Bruxellois Jan Gielemans (1427-1487), arrière-petit-neveu, du côté maternel, du premier prieur Guillaume Daneels. Il est l’auteur d’un vingtaine d’ouvrages dont le Hagiolum Brabantinorum. Il fut lui-même prieur du Rouge-Cloître de 1476 à 1487.

Guerres de religion (16e s.) et de Louis XIV (17e s.) : l’amorce du déclin.

L’écrivain Antoine Gheens fut bibliothécaire du cloître. Entre 1532 et 1538, il dressa un catalogue des traités qui étaient conservés dans les bibliothèques conventuelles des Pays-Bas et d’Allemagne. De magnifiques reliures en peau de cerf, veau ou truie, estampées de motifs religieux ou décoratifs, furent ainsi réalisées, favorisant l’extension de la renommée de l’atelier de reliure du Rouge-Cloître.

Le prieuré bénéficia aussi des dons et de la protection de Charles-Quint. Las, les guerres de religion éclatèrent et le couvent fut pillé et incendié en 1572. Les religieux se replièrent dans leur refuge sis rue des Alexiens à Bruxelles, où ils resteront pendant une trentaine d’années (jusqu’en 1607).

De retour dans leur domaine d’origine, les religieux, bénéficiant de la protection des archiducs Albert et Isabelle (1598-1621), entreprirent de longs travaux de réfection des bâtiments. Ces derniers se poursuivirent jusqu’à la moitié du 17e siècle, époque à laquelle ils furent achevés, sous le priorat d’Adrien van der Reest (1607-1677). En 1643, l’église fut même dotée d’une nouvelle tour avec horloge et d’un carillon, mais plus jamais le prieuré ne retrouva son lustre d’antan.

Il fut aussi victime d’un appauvrissement perpétuel résultant des lourdes impositions sur le patrimoine conventuel dont il dût s’acquitter sous les Pays-Bas espagnols, des guerres menées par le roi de France Louis XIV dans nos contrées, au cours de la seconde moitié du 17e siècle, sans parler des dilapidations d’un des prieurs du cloître, Gilles de Roy… A tous ces malheurs s’ajouta un nouveau désastre : en 1693, un incendie ravagea une partie des bâtiments du prieuré. Par chance, la bibliothèque contenant de précieux manuscrits enluminés, des livres anciens et des reliures de valeur, fut épargnée.

Joseph II et la Révolution française : la double suppression du Rouge-Cloître (18e s.).

Malgré certaines chaussées tracées à travers ses champs (vers Notre-Dame-au-Bois et Tervuren), le fait que, comme tous les couvents, le Rouge-Cloître dût contribuer, en 1750, aux frais de reconstruction du palais ducal de Bruxelles (anéanti par un incendie en février 1731) et l’édit de 1753 concernant les amortissements visant les richesses du couvent, le prieuré vit sa situation se redresser quelque peu à l’époque de Marie-Thérèse d’Autriche. Mais le 13 avril 1784, le prieuré fut purement et simplement supprimé par l’Empereur d’Autriche Joseph II, sous le prétexte d’éliminer les cloîtres « inutiles », c’est-à-dire les ordres contemplatifs qui ne s’occupaient pas des soins aux malades, de l’enseignement ou de la pastorale (partie de la théologie qui concerne le ministère sacerdotal).

A noter toutefois que cette suppression n’intervint qu’environ un an après la promulgation de l’édit général de suppression du 17 mars 1783. Ce délai permit aux religieux de vendre les pièces les plus précieuses ou de les mettre en sécurité (notons toutefois qu’une partie des précieux ouvrages précités ont atterri « miraculeusement » dans la bibliothèque impériale de Vienne…où ils se trouvent toujours…). L’administration des biens des couvents supprimés fut alors confiée à une nouvelle institution, le Comité de la Caisse de Religion. Dans le but de rentabiliser le lieu, on y établit la fabrique d’acier François Wautier. Celle-ci n’occupa qu’une partie de l’établissement, soit la maison du portier, la brasserie, la maison des hôtes, une partie du couvent, le lavoir et la cuisine. Cette entreprise fit rapidement faillite.

En 1790 (Révolution brabançonne, 1787-1790), les 18 religieux regagnèrent les bâtiments en partie délabrés du cloître (une grande partie avait été rasée. Ils s’y maintinrent vraisemblablement durant six années, et ce bien qu’en 1792, les hussards français y pillèrent ce qui restait à piller et y déployèrent même un détachement. En 1796, le prieuré du Rouge-Cloître fut supprimé une seconde fois (et cette fois, définitivement) par les révolutionnaires français, les biens des religieux étant mis en vente publique.

Le Rouge-Cloître après le couvent : du 19e siècle à nos jours.

De 1804 (Consulat/Premier Empire) à 1910 (Royaume de Belgique), le Rouge-Cloître accueillit successivement une filature –l’ancien couvent fut acheté par un Bruxellois du nom de Joseph Zanna (1797), qui en démolit une grande partie et installa une filature dans l’autre- , une teinturerie, les ateliers d’un tailleur de pierre, une guinguette, un hôtel, des restaurants ! A noter qu’en 1834 (ou en 1805 ?), un nouvel incendie détruisit entièrement l’église. En 1872, tout le domaine (y compris champs et étangs) fut acquis par un certain Romain Govaert. Celui-ci possédait un château qui dominait le Rouge-Cloître, mais il fut détruit en 1961.

Le 1er juin 1910, le domaine fut acquis par l’Etat. En 1965, les bâtiments présentant un intérêt historique furent classés, de même que le mur d’enceinte. En 1992, il devint la propriété de la Région de Bruxelles-Capitale qui en assure aujourd’hui la gestion et la conservation. Depuis 1999, des fouilles, sondages et évaluations archéologiques ont été menés pour le compte de la Direction des Monuments et Sites de la Région bruxelloise. Dans les années 2001-2002, l’infirmerie, la brasserie et le moulin ont ainsi pu être repérés et dégagés. On retrouva même le mécanisme du moulin. En 2003, c’est l’emplacement de l’ancienne église, de même que les ailes disparues du cloître et de l’ancienne brasserie qui ont fait l’objet de toutes les attentions de l’équipe archéologique.

2.Le Rouge-Cloître aujourd’hui.

Mais que reste-t-il de l’ancien couvent des Augustins ? Et quel usage en est-il fait de nos jours ? :

a) Le prieuré du 18e siècle a été préservé. Plus précisément, si deux ailes du cloître ont été arasées vers 1800, une autre apparaît parfaitement conservée. Une autre encore a été profondément remaniée pour accueillir les ateliers d’artistes.

b)Les dortoirs.

c)L’ancienne ferme prieurale est toujours visible. Il s’agit d’une belle construction carrée à un étage.

d)On retrouve également les anciennes dépendances avec leur manège et leurs écuries.

e)La brasserie, quant à elle, dont le mur extérieur est inclus dans le tracé du mur d’enceinte, présente encore des sols en place ainsi que des fours permettant d’étudier le processus de fabrication traditionnel de la bière.

f)En bas de l’étang, dans le jardin qui est toujours ceinturé par l’ancienne enceinte du cloître précitée, on peut encore voir un vieil édifice, construit en 1396 et qui a traversé les siècles : la maison du meunier que l’on nomme « Maison de Bastien », en référence au peintre Alfred Bastien (1873-1955). Henriette, la sœur de ce dernier, s’installa dans cette maison en 1898. Son frère, membre du groupe informel des « peintres du Rouge-Cloître », s’y établit lui-même ultérieurement. Deux lucarnes ont été aménagées dans le toit d’ardoises. Sous la gouttière, on remarque encore les boulins.

g)Les moulins de jadis ont, eux, disparu. Seuls subsistent cinq étangs, établis sur d’anciens marécages médiévaux mais ils ne portent plus trace de la pisciculture qu’on y pratiqua.

On peut dire que le Rouge-Cloître a, aujourd’hui, deux vocations essentielles :

a)L’accueil d’initiatives artistiques diverses. Les bâtiments préservés du prieuré accueillent ainsi le Centre d’Art du Rouge-Cloître (depuis 1971). Celui-ci organise des expositions, des ateliers artistiques et des spectacles.

b)Le développement d’initiatives « Nature ». Sa situation géographique, soit l’orée de la forêt de Soignes et le fait qu’il soit originellement entouré d’étangs traversés par le Roodkloosterbeek, ont fait que le site du Rouge-Cloître a, depuis le 16e siècle, toujours été prisé par les amateurs de nature, qu’il s’agisse des chasseurs de jadis (16e/17e s.) ou des promeneurs d’aujourd’hui :

-une partie du site intra et extra-muros est classée réserve naturelle et intégrée au réseau européen Natura 2000. Cette mise en valeur vise notamment à restaurer le réseau hydraulique mis en place par les chanoines ;

-en 2006, l’IBGE (Institut Bruxellois de Gestion de l’Environnement, aujourd’hui « Bruxelles Environnement »), a entamé des travaux d’aménagement des jardins historiques de l’ancien prieuré ;

-le Centre d’Art du Rouge-Cloître soutient « Cheval et Forêt », une association qui vise à mettre en valeur les chevaux de trait de Belgique et qui organise des démonstrations de débardage (transport des arbres abattus sur le lieu de coupe vers le lieu de dépôt ou de décharge provisoire).

3.La légende du Rouge-Cloître : trésor enfoui et hantise…

La suppression du prieuré du Rouge-Cloître par l’Empereur autrichien Joseph II est, semble-t-il, à l’origine d’une légende concernant un prétendu « trésor caché ». Comme nous l’avons dit, les autorités impériales autrichiennes décidèrent de supprimer le Rouge-Cloître, jugé économiquement et socialement « inutile », le 17 mars 1783. Nous avons vu également qu’il fallut ensuite près d’un an pour que cette décision soit réellement appliquée. Il n’en fallait pas moins pour enflammer les esprits de certains amateurs de mystères !

Le 13 avril 1784, le procureur se présenta au Rouge-Cloître pour y apposer les scellés. Et il espérait bien, semble-t-il, mettre la main sur un « trésor » de nature indéterminée, mais il en fut pour ses frais : il ne trouva rien, si ce n’est les vrais trésors, historiques ceux-là, qui se trouvent aujourd’hui encore, comme nous l’avons dit, à la Bibliothèque Nationale d’Autriche, à Vienne…

Dès 1781, dès qu’ils eurent vent des mesures anticléricales prises par Joseph II dans l’Empire d’Autriche, les Augustins du Rouge-Cloître, s’attendant à l’application de mesures semblables dans nos régions, se mirent immédiatement à creuser…une nouvelle citerne. De là à imaginer l’enfouissement d’un trésor justifiant l’acharnement du procureur impérial, il n’y a qu’un pas que les amateurs d’occulte s’empressèrent de franchir !

Selon le frère Jean-François Vander Auwera, ledit procureur ne trouvant pas le moindre trésor sonnant et trébuchant, fit enfermer le prieur Terlaeken dans une cellule. Durant quatre jours et quatre nuit, on ne lui apporta ni boisson, ni nourriture, et ce dans le but de l’obliger à dévoiler l’endroit où le trésor supposé avait été caché. Mais rien n’y fit : le prieur ne parla point. On se résolut à se contenter de vendre ses bien personnels à l’encan, mais pas une seule pièce d’argent et encore moins d’or ne semble avoir figuré dans l’inventaire des biens dressé par l’avocat Yernaux, chargé de la liquidation du Rouge-Cloître.

Si l’on en croit la légende du trésor, l’abbaye ayant été divisée en trois lots, les nouveaux propriétaires s’appliquèrent à détruire les bâtiments, sans la moindre intention, semble-t-il, de les reconstruire par la suite. Ces « recherches » apparentes durèrent un an et se déroulèrent semble-t-il à l’époque de la Révolution brabançonne (1787-1790).

Un jour, le frère Jean-François Vander Auwera, déjà cité, fit irruption au Rouge-Cloître (qu’il n’avait, dit-on, jamais vraiment quitté), escorté par un détachement de volontaires brabançons. Une quinzaine de chanoines revint également et n’eut d’autre besogne que de…planter des arbres, à savoir des chênes, en bordure du mur d’enceinte. Acte singulier, alors que nos régions étaient en pleine tourmente révolutionnaire… Ce retour du frère Jean-François apporterait la « preuve » ( ?), selon les amateurs de légendes occultes, que le prieur n’avait pas parlé et que le trésor était toujours en place… Oui, mais où ? Et quel lien entre la citerne, le mur d’enceinte et les chênes plantés par les chanoines de la fin du 18e siècle ? « Cherchez la croix », nous dit Paul de Saint-Hilaire !

Ainsi, aujourd’hui encore, le promeneur qui longerait le mur d’enceinte du Rouge-Cloître vers midi peut (éventuellement) apercevoir, dans la partie orientale, lorsque le soleil la prend en enfilade, une croix composées de briques sombres, haute de plusieurs mètres, recroisetée et haussée sur un socle de dix marches. Or, nous dit l’auteur d’ « Histoire secrète de Bruxelles », ce type de croix dite de calvaire est susceptible d’indiquer l’emplacement…d’un trésor enfoui. Et d’ajouter qu’enfouir un trésor dans un mur extérieur n’a rien d’extravagant, d’autant que la situation au Rouge-Cloître s’avère particulièrement favorable :

« A Rouge-Cloître, la situation est plus favorable encore : l’enceinte est adossée vers l’est à une colline boisée, dont elle retient les terres. La muraille est très haute à cet endroit et la dénivellation atteint plusieurs mètres. Le site est idéal pour creuser, en même temps qu’on élève le mur, une cache en contrebas, une chambre souterraine, voire y placer une citerne. Et c’est précisément là que la croix mystérieuse apparaît et disparaît au soleil… » (Histoire secrète de Bruxelles, p.126). Ceci expliquerait donc l’intérêt des moines porté à ce pan de mur : CQFD !

Déjà partiellement démoli, le Rouge-Cloître fut occupé par des hussards français, dès 1792, ultérieurement remplacé par des dragons. En 1796, le prieuré est supprimé une seconde fois, puis mis en vente publique en 1797, le citoyen Zanna s’en portant acquéreur. Quatre années plus tard le domaine est racheté par un personnage originaire du Midi qui lui-même le cèdera à des Suisses, en 1804. Entre-temps, l’ancien prieur Terlaeken était décédé, les chanoines s’étaient dispersés et le frère Vander Auwera avaient été appelés à d’autres devoirs à Saint-Gilles, où il trépassa avant la fin du régime français.

Le temps passa, mais la légende du trésor enfoui se maintint. Ainsi, un aubergiste du Rouge-Cloître raconta un jour que son grand-père, paysan de son état, affirmait que, certains soirs d’hiver, le fantôme d’un moine vêtu de blanc, à l’exemple des Augustins, hantait parfois les lieux où se dresse la vieille muraille du prieuré. Un jour, surmontant sa crainte, il décida de suivre le spectre jusqu’à un ravin, situé à proximité des étangs. A l’endroit où l’apparition spectrale s’était évanouie, l’ancêtre de notre aubergiste, qui croyait dur comme fer à la légende du trésor, se mit à creuser à l’aide d’une grosse bèche. Il finit par exhumer deux troncs pourris cloués en forme de croix, puis continue à creuser jusqu’à découvrir un squelette de femme ! Le curé fut appelé et fit en sorte d’enterrer la dépouille en terre consacrée.

Mais, vers la même époque, un vieux prêtre qui prétendait être l’un des survivants de l’ancienne communauté augustine, se rendant en pèlerinage aux ruines de l’ancien prieuré, resta plusieurs jours dans les environs. Le découvreur du squelette féminin et de la croix ne manqua évidemment pas de le questionner, mais le prêtre se contenta de donner des réponses évasives et confuses. Il évoqua un étranger qui, une nuit, était arrivé blessé au prieuré. On l’avait soigné et il avait demandé son admission au noviciat. Chaque jour, il allait discrètement au fond du ravin. Un religieux l’ayant suivi, le vit se jeter sur le sol et pleurer, à l’endroit même où le squelette de femme avait été déterré. Il vit ensuite le novice se dépouiller de sa soutane et s’appliquer durement la discipline. Ces terribles mortifications remplissaient les autres religieux d’un respect mêlé d’effroi. A propos du trésor, l’ancien chanoine ne voulut rien en dire.

Le fantôme du moine augustin hante-t-il encore le site du Rouge-Cloître ? Et si tel est le cas, s’agit-il du spectre du frère Jean-François Vander Auwera, veillant jalousement sur un trésor enfoui ? A moins qu’il ne s’agisse de celui du novice anonyme pleurant sur les dépouilles d’une femme dont le drame nous restera à jamais inconnu ?

Cela, la légende du Rouge-Cloître ne nous le dit pas…

Eric TIMMERMANS.

(*) Dans le langage courant, les Bruxellois évoquent habituellement « le » Rouge-Cloître et se rendent « au » Rouge-Cloître. Il semble toutefois que les bonnes formulations soient « Rouge-Cloître » (comme « Val-Duchesse ») et « à » Rouge-Cloître (comme « à » Val-Duchesse). Ne faisant pas partie du monde académique et ces formulations inhabituelles écorchant quelque peu nos oreilles, nous nous en tiendrons, pour notre part, aux formulations populaires qui nous sont familières…

Sources : Les prieurés en forêt de Soignes (Val-Duchesse, Groenendael, Rouge-Cloître, Sept-Fontaines et Ter Cluysen), L. Janssens et E. Persoons, Exposition aux Archives générales du Royaume, du 3 juillet au 30 novembre 1989 / Dictionnaire d’Histoire de Bruxelles, S. Jaumain / Auderghem, J-M. Delaunois, Guides des Communes de la Région Bruxelloise, Guides CFC-Editions, 1998 / Histoire secrète de Bruxelles, Paul de Saint-Hilaire, Albin Michel, 1981, p.125 à 128.


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