LA RUE DES MINIMES, SON COUVENT, SON EGLISE…ET L’OMBRE DE L’ABBE SIEYES.
La rue des Minimes.
Photo - Pierrot Heymbeeck, septembre 2016.
Longue de 650 m, la rue des Minimes s’étire de la place du Grand Sablon à la rue du Faucon, parallèlement à la rue Haute. Originellement, la rue des Minimes reliait le Sablon à une défunte rue des Feuilles (qui fut aussi nommée « El Blad », nous y reviendrons), qui s’étendait jadis entre la rue Notre-Dame-de-Grâce et la rue du Faucon (actuellement au pied des grandes rampes du palais de justice). La rue des Minimes semble déjà exister au 14e siècle, vu que, selon un document de 1374, on la nommait « Par où on va du Sablon à Saint-Gilles ». Elle a probablement porté d’autres noms avant 1621, année de l’installation des Frères Minimes d’Anderlecht (ou ordre des ermites de Saint-François, communauté d’origine française, installée près de Saint-Guidon, dès 1618, et dont le couvent était situé au coin de la rue Erasme et de l’avenue Edmond Delcourt). Les religieux y établirent un couvent et une église, et donnèrent le nom de leur communauté à la rue. A noter que les Minimes, pourtant réputés pour leur volonté de venir en aide aux plus démunis, en cela compris les prostituées, obtinrent de l’infante Isabelle qu’elle fit entourer d’un mur tout le quartier mal famé du Bovendal, largement fréquenté par les « filles publiques ». Peur de la tentation ? Le couvent des Minimes connut son heure de gloire, mais à la fin du 18e siècle, il apparaissait bien dépeuplé. Expulsés une première fois par Joseph II, en 1787, mais revenus à Bruxelles en 1790, les derniers Minimes furent définitivement chassés en 1796, durant la Révolution, alors que leur église était fermée. Si celle-ci devait être rendue au culte sous le Concordat, en 1801, le couvent, lui, servit à divers usages avant d’être démoli et remplacé par une école.
En 1853, on ajouta à la rue des Minimes un tronçon de 200 m qui rejoignait la rue aux Laines. Auparavant, ledit tronçon portait le nom de « rue des Marolles », nom qu’il tenait du couvent des Sœurs de Marie également nommées Mariolles ou Marolles. Ces religieuses s’étaient établies dans un cimetière désaffecté, situé à cet endroit, en 1660. Elles avaient pour mission de catéchiser les « filles publiques » du Bovendal, un quartier situé alors à l’emplacement de l’actuel palais de justice. Dès 1597, afin d’empêcher les filles d’aller déranger les « honnêtes gens » de la rue Haute, l’autorité avait établi un « guichet », dans le haut de la rue de l’Epée. Celui-ci était ouvert matin et soir, par un surveillant, pendant une demi-heure seulement, et ce dès que sonnait la cloche du travail. Durant la même année 1853, on ajouta un autre tronçon nommé « rue des Feuilles », déjà signalée.
En 1920, les locaux du vieux couvent, qui avait été utilisés de maintes façons durant plus d’un siècle, furent démolis afin d’édifier à leur emplacement une grande école moyenne (1923-1927), qui devait devenir l’Athénée Robert Catteau (1948). Jusqu’en 1895, la rue des Minimes ne communiquait avec le Sablon que par deux artères en fourche la rue du Coq d’Inde, aujourd’hui disparue, et la Petite rue Notre-Seigneur, nommée « rue de la Vieillesse », durant la Révolution, et devenue par la suite la Petite rue des Minimes.
La petite rue des Minimes en direction du Grand Sablon.
Photo Pierrot Heymbeeck - 23 septembre 2016.
Cette artère longue de 40m et qui relie la rue des Minimes à la place du Grand Sablon, est aussi ancienne que la rue des Minimes elle-même. A noter aussi, pour l’anecdote, que le Coq d’Inde désigne en français, par ellipse, une dinde. Cette rue également très ancienne devait son nom à l’enseigne d’une auberge située au coin de l’actuel Sablon.
Les kermesses d’ « El Blad ».
Nous avons évoqué une « rue des Feuilles », il nous reste à déterminer l’origine de son nom. A l’origine, la rue prit le nom de l’un de ses premiers habitants, voire de son créateur : Messire Jean Blaers. De fait, au 14e siècle, on signale une « Blaerstraete » dont on orthographie parfois le nom Blaere, Blae, Blaes, Blaren et, enfin, Bladeren. Francisation oblige, on entreprit, au 19e siècle, de traduire les noms de rue thiois en français. Or, « blaren » et « bladeren » (pluriel de « blad ») signifient « Feuilles ». De leur côté, les ouvriers wallons qui habitaient les Marolles au 17e siècle ont appelé ce quartier « El Blad ». Des kermesses furent organisées dans ce quartier jusqu’en 1914. Les courses en sac et les courses de grenouilles, les bals du soir, la cavalcade dominical, les jeux divers, laissèrent longtemps des souvenirs que l’on crut impérissables mais qui, malgré tout, s’effacèrent progressivement de la mémoire collective.
L’église et le couvent des Minimes.
C’est en 1616 que les Frères Minimes d’Anderlecht demandèrent l’autorisation d’ouvrir une succursale à Bruxelles. Ils durent attendre cinq ans avant d’être autorisés à s’établir dans une rue bruxelloise à laquelle ils allaient donner le nom de leur communauté : les Minimes ou « tout petits ». De fait, la ligne franciscaine de leur ordre les incitait à l’humilité, à l’austérité, au dépouillement et à venir en aide aux plus démunis. Dans un premier temps, ils installèrent leur couvent dans les jardins du comte de Bournonville, qui fut aussi occupée, à une époque précédente, par la famille du célèbre anatomiste André Vésale (actuel emplacement de l’Athénée Robert Catteau). A côté de leur couvent, les Minimes firent construire une église dont la première pierre fut posée par l’archiduchesse Isabelle, le 6 avril 1621. Elle fut vraisemblablement ouverte au culte en 1624 et aurait, dit-on, été édifiée sur l’emplacement d’une maison de débauche.
L’église du 17e siècle se révélant bientôt trop étroite, une seconde, celle que nous connaissons, aujourd’hui encore, sous le nom de Saints-Jean-et-Etienne-aux-Minimes, fut construite dans les années 1700-1715. Cette construction marque la fin du baroque brabançon et le début du classicisme. En 1787, la communauté des Minimes ne comptait plus qu’un petit nombre de religieux. L’empereur réformiste Joseph II décidera donc de les réunir à la communauté d’Anderlecht. L’église, elle, resta consacrée au culte. Les Minimes revinrent quelques années plus tard à Bruxelles, mais la Révolution allait mettre un point final à leur aventure. En 1796, ils furent à nouveau expulsés, définitivement cette fois, alors que leur église était fermée. Elle fut toutefois rouverte au culte en 1801, sous le Concordat, et l’on en fit une succursale de la paroisse de la Chapelle. Les Frères Minimes, eux, ne devaient plus jamais revenir à Bruxelles. Quant à leur couvent, à la suite de sa désaffectation, il servit à maints usages : magasin d’artillerie, « atelier de travail et de charité » (dont le but était de faire diminuer la mendicité enfantine…), manufacture impériale des tabacs, hôpital militaire, prison pour femmes… Il fut complètement détruit en 1920 et remplacé par l’école moyenne A, construite entre 1923 et 1927. Le 7 décembre 1948, l’école devint l’Athénée Robert Catteau.
Sur la demande des habitants du quartier des Marolles, l’église des Minimes devint leur paroisse. Mais sous le régime protestant hollandais (1815-1830), elle fut à nouveau fermée au culte, malgré les protestations des habitants. Comme ceux-ci n’étaient pas écoutés, ils décidèrent d’occuper leur église. Mais le conflit ne trouva une issue qu’en 1830, au lendemain de la création du royaume de Belgique et du rétablissement de la liberté de culte catholique. Il semble que le fait que l’église ait été aux mains des paroissiens eux-mêmes, au moment de la promulgation des lois régissant les relations entre Eglise et Etat dans le nouveau royaume, lui donne un statut particulier : elle serait la seule église paroissiale appartenant aux paroissiens eux-mêmes ! L’église des Minimes fera l’objet d’une restauration au 19e siècle.
Notre-Dame de Lorette en l’église des Minimes.
L’église des Minimes abrite la reproduction de la Maison de Notre-Dame de Lorette (Italie). La chapelle de Lorette est supposée être la « véritable représentation de la sainte maison de Nazareth, dite de Lorette, dans laquelle s’est opéré le mystère de l’Incarnation du Verbe divin, où Jésus a habité depuis l’âge de 7 ans jusqu’à 30, et a travaillé avec St-Joseph. » (« Dictionnaire historique des rues, places…de Bruxelles », p.298). Selon la légende chrétienne, la maison qu’habita la Vierge Marie à Nazareth fut transportée dans les airs à la fin du 13ème siècle, pour échapper aux troupes musulmanes et voilà la raison pour laquelle Notre-Dame de Lorette est considérée aujourd’hui comme la patronne des aviateurs !
Ainsi, « une vitrine contient des reliques relatives à cette dévotion, ainsi que des images mortuaires d’aviateurs belges tels que Roger de Cannart de Hamal, Albert Soete, le baron van der Linden d’Hoorgvorst, le baron del Marmol, tous membres de la confrérie de N-D. de Lorette. Un avion pend au plafond entre deux lampadaires, sous une voûte céleste étoilée. Des morceaux de peintures murales ont été appliqués sur les murailles aux imitations de jointures de briques. La statuette de la madone se trouve sur l’autel, derrière un crucifix, tandis que, devant l’autel, un médaillon sculpté retrace un épisode du voyage aérien de la maison de Nazareth. La Vierge et l’Enfant ont le visage noir, comme à Hal et à Montserrat. Un voile de dentelle pend de la couronne de la Vierge, mais sur sa poitrine, ne brille plus son collier précieux avec sa croix. Il fut dérobé le 31 décembre 1935, par des malandrins qui s’étaient introduits dans l’église. » (Bruxelles, notre capitale, p.58-59).
La légende de Notre-Dame de Lorette nous dit qu’en 1291, alors que les musulmans menaçaient de s’emparer de la terre revendiquée comme « sainte » par les chrétiens, et que Nazareth était sur le point de tomber dans leurs mains, Dieu ordonna à ses anges de transporter, par la voie des airs, la maison familiale de la Vierge Marie et de son divin enfant, en Dalmatie (région de l’actuelle République de Croatie). Après trois ans et demi passés en pays dalmate, la « sainte maison » fut transportée, sur ordre divin, en Italie, et ce, en trois étapes aériennes… Elle atterrit finalement à Lorette (Ancône, Italie) où son culte débuta dès 1295. On comprendra aisément que ces quatre voyages par les airs justifièrent amplement l’adoubement de la Dame de Lorette en tant que patronne des aviateurs, dès que l’homme, sans assistance divine cette fois, se mit à emprunter les mêmes voies aériennes… !
En 1624, l’archiduchesse Isabelle ordonna que la Maison de Lorette soit reproduite et érigée près de l’église des Pères minimes. Au début du 19ème siècle, cette maison fut reconstruite à l’intérieur de l’église des Minimes et, pendant de longues années, le culte de Notre-Dame de Lorette fut particulièrement vivace à Bruxelles. C’est le 24 mars 1920 que Notre-Dame de Lorette fut officiellement établie patronne des aviateurs et des aéronautes par un décret de la Congrégation des Rites. Il est dit notamment que lorsque Lindbergh traversa l’Atlantique, il avait, clouée dans son avion, une médaille de ladite madone qui lui avait été donnée par un pasteur de la Louisiane.
L’ombre de l’abbé Sieyès, à la rue des Minimes…
Pour rappel, l’abbé Sieyès (1748-1836), fut un homme d’église qui, dépourvu de vocation religieuse, fut surtout connu pour ses écrits et son action durant la Révolution française. Vicaire général de Chartres en 1787, il se rendra célèbre, en 1788, pas son Essai sur les privilèges, et sa notoriété augmentera encore lorsque sera publié son Qu’est-ce que le tiers état ?, texte fondateur de la Révolution. Il votera la mort du roi Louis XVI et prendra part aux événements révolutionnaires, jusqu’au coup d’Etat du 18 brumaire An VIII (9 novembre 1799) qui porte Napoléon Bonaparte au pouvoir (Consulat). L’abbé Sieyès, désormais favorable à un rétablissement de l’ordre par les militaires, prend une part active à cet événement. En 1808, il est nommé Comte d’Empire. Mais après la défaite de l’Empereur à Waterloo, en 1815, Sieyès, en tant que régicide, est condamné à l’exil.
Comme bien d’autres, il part pour Bruxelles où il arrive le 19 janvier 1816 (cour des messageries, rue de la Madeleine). Il logera d’abord à l’hôtel Bellevue (sis rue Royale, 9). L’ex-abbé habitera également à deux adresses, rue de l’Orangerie (rue disparue dont le tracé correspondait à celui de l’actuelle rue Beyaert). Enfin, on note sa présence, une année durant, au 756 (ancienne numérotation), rue des Minimes, une maison qui était située au coin de l’actuelle rue Hanssens et qui fut rasée (1894) lors des travaux de restructuration du quartier. Sieyès, craignant d’être reconnu, vit en reclus à la rue des Minimes. Ultérieurement, il déménagera rue de l’Orangerie, où il fera l’acquisition d’un immeuble (n°129), le 22 juillet 1817. Sieyès rentrera en France, en 1830. Il décèdera en 1836, à l’âge de 88 ans, et sera inhumé au Père-Lachaise. Qu’a-t-il laissé de son passage à Bruxelles ? Rien, vraisemblablement, si ce n’est, peut-être, un témoignage dans les registres de la population qui annonce la naissance d’un dénommé Léonce-Théodore Sieyès, qui serait mort, onze mois plus tard, rue de l’Orangerie. Selon la tradition, qui, faute de références historiques suffisantes, ne peut être prise pour argent comptant, un enfant serait né des amours de Sieyès et d’une jeune bruxelloise (Les mystères de Bruxelles, D.-Ch. Luytens, p.108-114)… Qui peut savoir ?
Eric TIMMERMANS.
Sources : Bruxelles, notre capitale, Louis Quiévreux, PIM-Services, 1951, p. 57 / Dictionnaire historique des rues, places…de Bruxelles (1857), Eug. Bochart, Editions Culture et Civilisation, 1981 / Dictionnaire historique et anecdotique des rues de Bruxelles, Jean d’Osta, Le Livre, 1995 / Les mystères de Bruxelles, Daniel-Charles Luytens, Noir Dessin Production, 2005, p. 108-114 / Ils ont choisi Bruxelles, Daniel-Charles Luytens, Noir Dessin Production, 2004, p. 270-271 / Promenades dans les Couvents et Abbayes de Bruxelles, Jacques van Wijnendaele, Editions Racine, 2007, p. 50-52.